Il y a peu, j’étais encore un humble berger, mais aujourd’hui je suis un homme traqué errant de royaumes en royaumes, et partout contant cette histoire pour les arrêter : Peu après la colonisation de Nivalis par l’empereur, une confrérie, “les Trente” regroupant 31 seigneurs de tous horizons régnait sans partage sur leur modeste territoire. Les Trente était leur nom car le 31e, tel était son surnom, était un guerrier absent à chacune des réunions. La pérennité de cette union les avait rendus tels des frères. Ainsi, par un soir d'été, sur une plage de l’île de Nivalis, les Trente festoyaient justement leurs quelques victoires, bonne humeur et décontraction étaient alors de rigueur. Au repas, ce soir était prévu un mouton cuit à la broche accompagné de ces traditionnels haricots blancs que l'on trouve dans les basses contrées de Nivalis, une ronde de fromages devait poursuivre le repas, et les festivités devaient s'achever sur les confitures et autres gâteaux secs que les guerriers emmènent avec eux lors des batailles. Pour l'occasion un chef cuisinier d'un royaume indépendant dont le nom ne marqua pas les mémoires, avait été déplacé manu militari sur la plage. Il s'était affairé durant tout l'après midi à préparer les provisions rapportées des pillages pour le repas du soir. Rendez-vous compte à lui tout seul il n'avait que 7 heures pour préparer et servir le plus mémorable des repas à 30 seigneurs, la tâche était énorme et ingrate, du moins le jugeait-il. Le soleil était couché depuis bien longtemps, mais en réalité nul ne s'était préoccupé de la position du soleil ou de la lune. Le repas débutait par le mouton et son accompagnement de haricots, quand on commença à s'interroger sur l'absence de l’un entre eux (il ne s’agissait pas du 31e dont le retard était prévu de tous). Tous furent fortement rassurés quand il fut découvert au cœur d’un bosquet, ivre -mort mais vivant. Il était évident que celui-ci ne boirait plus ce soir et n'ingurgiterait d'ailleurs rien d’autre. Ils déclarèrent alors tous de concert : “ premier saoulé, premier couché !!! ” À table, tout le monde était servi en mouton sauf Le Cadet, (c’est ainsi qu’il se faisait appeler), car la mort récente du père empalé par un bélier l'empêchait de se nourrir du mouton pourtant si agréable d'apparence. Tant il est vrai que survivre à la bataille et rentrer chez soi pour se faire assassiner par un bélier fou échappé d'un enclos mal fermé avait laissé à sa famille, et sans doute à lui, un goût amer... Un baril de vin s'était déjà écoulé lorsque l’on commença enfin le mouton, mais une querelle amicale sur la qualité de la viande proposée survint peu après, certains la trouvaient trop mauvaise et d’autres vraiment succulente … Bientôt les compères ne tardèrent pas à se lancer, dans la plus franche des rigolades, quelques noms d’ovidés pour essayer de défendre leur point de vue, Le Cadet très vite écœuré par ces propos insoutenables à ses oreilles quitta la table pour se rendre à la rencontre du 31e qui devait être de retour de bataille d’un instant à l’autre. Aussi le rencontra-t-il à seulement 3 lieues d’ici, et ensemble ils revinrent vers la tablée dont le tumulte semblait désormais apaisé ; et pour cause, frappés par le dieu de la Démence les Trente s’étaient livrés à une macabre occupation, le massacre fratricide. Seuls avaient survécu le cuisinier caché sous une table à l’écart et l’Ivrogne toujours dormant en son buisson, et que l’on s’empressa de réveiller. La cause était évidente aux yeux de tous, les guerriers s’étaient tous entretuer et la raison en était tout autant aussi, c’était le mouton, et peut-être aussi le chef qui l’avait préparé. Cette réflexion faite, l’Ivrogne saisit son glaive et d’un coup transperça le cuisinier, acte de bravoure ultime que chacun approuva pleinement. Il fut décidé que les bergers et les cuisiniers devraient payer pour leur trahison, ainsi naquit le concept de la croisade contre tout berger et tout cuisinier sévissant sur l’île de Nivalis. Les suspicions qui naquirent de ce triste épisode entraînèrent également des guerres entre les trois seigneurs. Désormais la méfiance n’a plus cours entre ses trois royaumes, mais il n'est pas rare que pour s'assurer qu'aucun berger n’y rôde, un de ces seigneurs envoie son armée sur les terres d'un autre. |